La mobilisation écologique des salariés
N°111 - Mars / Avril 2024
Comment les salariés « écotafeurs » se mobilisent-ils pour contribuer de l’intérieur à la transformation écologique de leur entreprise ?
La transition écologique est un enjeu qui occupe une place de plus en plus importante au sein du monde du travail. Les grandes entreprises ont mis en place depuis longtemps des démarches RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), mais le mouvement pour la transition écologique des entreprises semble aussi de plus en plus être porté par l’engagement de leurs salariés « écotafeurs ». Afin de cerner ce phénomène, l’ADEME et quatre partenaires ont conduit un projet de recherche en sociologie baptisé #ECOTAF. Son objectif : comprendre comment des dispositifs externes à l’entreprise sont en capacité de mobiliser les salariés sur l’écologie et de produire des changements dans les organisations.
Interview
Anaïs ROCCI
Sociologue
ADEME
&
Gaëtan BRISEPIERRE
Sociologue
Cabinet GBS
« Une montée en puissance de la fonction RSE »
Agir Mag : Qui sont ceux que vous nommez les salariés « écotafeurs » ?
Gaétan Brisepierre : Ce néologisme marque un changement d’époque : jusqu’en 2018, les initiatives écologiques au sein de l’entreprise étaient isolées. Aujourd’hui, on constate qu’elles se sont largement étendues. Ceux que nous appelons « écotafeurs » sont des salariés de l’entreprise qui se mobilisent sur l’écologie : des salariés moteurs qui portent des initiatives en interne, des responsables RSE qui initient des actions de mobilisation, des salariés relais des actions de la RSE ou simples participants, ou encore les managers qui soutiennent ces initiatives… La mobilisation écologique au sein de l’entreprise concerne de plus en plus d’acteurs.
Agir Mag : Quels sont les liens entre mobilisation écologique des salariés et stratégie « RSE » de l’entreprise ?
Anaïs Rocci : La mobilisation écologique des salariés s’inscrit dans un contexte général de montée en puissance de la fonction RSE dans les entreprises. Les initiatives des écotafeurs sont d’ailleurs en lien étroit avec la politique de responsabilité sociétale de l’entreprise. Elles peuvent être impulsées par l’entreprise elle-même à travers les initiatives des responsables RSE, mais aussi par des salariés moteurs qui aspirent à la transformation écologique de l’entreprise. Et ces actions peuvent s’appuyer les unes sur les autres. Le service chargé de la RSE peut faciliter les projets des salariés.
En retour, les initiatives des salariés renforcent l’appropriation de la politique de RSE et favorisent l’émergence d’une culture partagée de la transition écologique. La mobilisation des salariés se conjugue à d’autres facteurs comme les attentes des clients et les nouvelles obligations de reporting des performances extra-financières pour faire pression sur l’entreprise et l’inciter à se transformer. Elle n’est cependant pas toute-puissante : sans adhésion des dirigeants, il ne peut y avoir de transformation profonde de l’entreprise.
Agir Mag : Quelles sont les conditions de réussite des projets « écotafs » ?
G. B. : Un critère crucial est celui de la collaboration entre les écotafeurs à l’origine de ces projets et le service RSE. Ce service peut voir émerger ces initiatives spontanées avec méfiance, mais si un terrain d’entente est trouvé, une alliance va naître et des synergies vont se développer, précieuses pour la réussite des projets. Un autre critère concerne les caractéristiques et les particularités de l’entreprise : les projets aboutiront plus facilement dans des structures petites ou moyennes, avec peu de turn-over et d’emplois précaires, qui pratiquent plutôt le management horizontal et qui ont une tradition d’engagement social et solidaire. Une trop forte pression productive peut être un frein, car ces projets demandent du temps aux salariés qui les mènent.
On note enfin que les écotafeurs ont tout intérêt à convaincre les dirigeants et les services supports. Parmi ces services, on peut citer plus particulièrement celui des ressources humaines, qui est une clé d’entrée vers les salariés. Ce service est souvent intéressé par cette mobilisation qui donne du sens au travail, et peut donc rendre l’entreprise plus attractive. Les managers intermédiaires, sur lesquels reposent des objectifs opérationnels, ont plus de mal à adhérer à ces projets qu’ils considèrent comme du « temps perdu » car non productif.
Agir Mag : La conduite de projets écologiques en entreprise renforce-t-elle la qualité de vie au travail ?
A. R. : On observe ces dernières années que les salariés ne se voient plus seulement comme des travailleurs, mais aussi comme des acteurs dont les choix contribuent à façonner la transition écologique de l’entreprise. Les projets qu’ils mènent et les dispositifs auxquels ils participent au sein de leur milieu professionnel nourrissent leur quête de sens et peuvent réduire, pour certains, l’éco-anxiété, en mettant l’accent sur le passage à l’action.
Globalement, les dispositifs de mobilisation créent une émulation collective et renforcent ainsi le collectif au travail. Ils peuvent aussi, dans certains cas, favoriser des montées en compétence, par exemple dans l’animation, la gestion de projets ou encore en termes d’expertise, et conduire à une évolution au sein de l’entreprise. Toutefois, chez certains salariés très engagés, la mobilisation écologique peut générer une frustration si la transformation de l’entreprise ne va pas assez vite ou assez loin, et un essoufflement. Des salariés peuvent alors préférer s’engager dans une carrière entrepreneuriale, politique ou militante…
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